Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article HONESTA MISSIO

IIO\ESTA MISSIO [music)]. I1ONESTIORES, IIIIIIIILIORLS. Ce sont les expressions dont se servent les jurisconsultes du ne et du Ille siècle pour opposer deux catégories de citoyens: ceux qui sont dans les honneurs', et ceux qui n'ont aucune dignité2. Ils emploient quelquefois, comme synonyme de humiliores, le mot tenuiores' , comme synonymes de honestiores, les mots altiores° ou potentiores5. De tout temps honestus a désigné, dans la langue courante, celui qui a exercé une charge de la république 6 ; de tout temps encore humiles7 ou humiliores° s'est appliqué aux hommes du commun, à ceux qui n'ont rien et ne sont rien. Mais ce n'est qu'à partir des Antonins, semblet-il, que ces deux mots sont entrés dans l'usage officiel. Honestiores ne s'entend pas seulement de ceux qui exercent une magistrature, à Rome ou dans les municipes, mais encore de tous les sénateurs et de tous les chevaliers romains, et de tous les décurions municipaux9. Les humiliores sont par conséquent tous ceux qui, à Rome et dans le monde romain, faisaient partie de ce qu'on appelait alors la plèbe ou les plébéiens. Et de fait le mot plebeii a pu être employé comme synonyme de humiliores10 : l'une et l'autre expression s'appliquent à tous les hommes nés libres qui ne sont revêtus d'aucune dignité publique". Il est peu probable, quoique nous n'ayons aucun texte précis à ce sujet, que les possessores non décurions aient été inscrits parmi les honestioresta: la fortune n'a rien à voir dans cette distinction des citoyens en deux classes 73. Encore moins Ies Augustales appartiennent-ils à la classe supérieure14. L'opposition entre ces deux catégories de citoyens ingénus intervient surtout, et presque exclusivement, en matière pénale: la qualité de honestior donne au condamné le privilège du meilleur traitement. C'est ainsi que les deux châtiments dégradants, la bastonnade et la condamnation aux mines, sont formellement déclarés inapplicables aux Itonestiores16. De même la mort honteuse, comme la croix, le bûcher, l'exposition aux bêtes, était réservée aux plus humbles: les autres étaient décapités S6. Enfin, pour la presque totalité des crimes entraînant un châtiment capital, il y avait grâce de la vie ou adoucissement de la peine en faveur des hommes de condition supérieure : les humiliores risquaient la mort ou les mines alors que les honestiores encouraient seulement la rélégation ou la déportation, presque toujours avec la confiscation totale ou partielle de leurs biens17. En outre, dans le cours de certaines procédures, et plus souvent peut-être que les livres de droit ne le disent, une situation privilégiée était faite à l'honestior : la détention provisoire, par exemple, était, dans certains cas, évitée « à ceux qui sont pourvus de quelque dignité18 ». L'honestior pouvait parfois transiger sans l'intervention du préteur19; inversement on ne permet pas aux « humbles » d'assigner « ceux qui l'emportent en dignité20. » Il est fort difficile de dire à quelle époque cette distinction, si marquée au temps des Sévères, s'est introduite dans la loi. Qu'elle ait été de tout temps dans les moeurs, c'est ce que l'étude de la société romaine prouve surabondamment21. Mais encore à la fin de la république, la législation criminelle de Sylla ne paraît point établir de catégorie entre les citoyens nés libres. Ce n'est que sous le règne d'Auguste que le jurisconsulte Labéon pose le principe que les humbles ne pourront assigner les plus HON 236 IION hauts personnages 1 ; et il n'est pas invraisemblable qu'Auguste ait fait aux nobles, en justice, une place privilégiée2; mais en droit pénal, l'opposition entre les deux classes d'ingénus n'apparaît nulle part avec certitude au 1cr siècle', Les premières traces bien nettes 4 que nous en trouvions sont du temps d'Antonin le Pieux et de Marc-Aurèle'; elle est en pleine vigueur sous les Sévères, comme nous le voyons par les fréquentes mentions qu'en font Paul et Ulpien, et il est très probable que les privilèges des honestiores ont été définitivement arrêtés par les constitutions des derniers Antonins et de Septime Sévère°. Il faut sans doute regarder cette mesure comme une preuve de l'esprit aristocratique qui inspirait ces empereurs; mais il faut la considérer encore, et davantage, comme un précieux adoucissement à la législation romaine : elle soustrayait aux peines dégradantes e t aux châtiments capitaux une partie du genre humain. Les expressions de honestiores et humiliores disparaissent vers le Ive siècle 7 ; mais les privilèges accordés aux décurions et aux hommes en charge restèrent toujours inscrits dans la législation pénale. CAMILLE JULLIAN. 11ONORARIA SU.IIMA, IIONORARIU\I. I. Il était d'usage à Rome d'attribuer aux magistrats pour la célébration des fêtes publiques qu'ils étaient appelés à préparer et à présider, une certaine somme d'argent, à la condition qu'ils couvriraient, de leurs propres ressources, l'excédent des dépenses. On ignore s'il existait, à ce sujet, une loi formelle, ou si la coutume aidée de la vanité et de l'ambition suffisaient à assurer ce résultat En cela, comme en tout le reste, les municipalités italiques et provinciales suivirent l'exemple de la capitale; mais là, la loi intervint assurément; les paragraphes '70 et 71 de la lex Coloniae Genetiuae règlent nettement la question. Il y est dit que les duumvirs aussi bien que les édiles doivent donner des jeux scéniques en l'honneur de Jupiter, Junon et Minerve, et que chacun d'eux aura à verser, à cet effet, une somme qui ne sera pas inférieure à 2000 sesterces2. C'est là, semble-t-il, l'origine de cette prestation imposée à l'époque impériale aux dignitaires et aux prêtres des municipalités et des collèges, lors de leur entrée en fonctions et appelée honora rium,honoraria summa,sulnma honoris legitima, legitima. Le principe établi, d'abord peut être pour quelques-unes de ces fonctions, celles qui entraînaient l'obligation de jeux et de fêtes, se sera ensuite étendu à toutes; car il flattait à la fois les goûts de plaisir des citoyens et l'amour-propre de ceux qui aspiraient aux honneurs. Il n'était pas rare, d'ailleurs, que ceux-ci ajoutassent « ex liberalitate » des sommes considérables à celles qu'ils devaient verser « ex loge». Ces deux catégories de frais, obligatoires et bénévoles, doivent être distinguées avec soin, bien qu'il ne soit pas toujours aisé de le faire, dans les textes que les auteurs et surtout l'épigraphie nous ont conservés. Il ne sera question, dans ce qui suit, que des libéralités exigées par la loi, les seules auxquelles s'applique proprement le terme d'honorarium. 1° Municipalités. La règle qui obligeait les sénateurs ou tout au moins certains d'entre eux 3, les magistrats et les prêtres municipaux, à verser au Trésor, lors de leur entrée en charge, une somme d'argent, était appliquée dans toute l'étendue de l'empire. Nous en avons des exemples pour l'Italie`, la Lusitanie', la Gaule°, la Sicile 7, la Sardaigne 8, la Dalmatie 9, la Crète 10, l'Asie", la Lydie 72, la Bithynie 13, surtout l'Afrique, la Numidie et la Maurétanie t4. Cette somme devait être payée comptant (pracsens) et lorsqu'il plaisait à la municipalité de la laisser employer par le donateur à un usage spécial, il fallait un décre t du conseil pour en autoriser le transfert". Nous avons sur l'importance des sommes honoraires exigées dans différentes villes africaines (ailleurs, les documents manquent presque complètement) un certain nombre de renseignements que nous réunissons ici : Cirta. Sestertium XX milia 1 °. Muzuc. Sestertium iVIDC 17. Cirta. Sestertium XX initia ". Auzia. Sestertium V milia 19. Theveste. Sestertium IV milia2° Thubursicum. Sestertium IV milia ~' . Cirta. Sestertiur XX milia 22. HON 237 HON Cirta. Sestertium XX milia 1. Ilippo Regius. Sestertium X milia 2. ?(Henchir Debbik). Sestertium IV milia3. ?(Oued-Cham). Sestertium II CCCC Cirta. Sestertium XXXIV milia -°, Cirta. Sestertium X milia 6. Lambèse. Sestertium XII milia7 Musti. Sestertium X milia 3. Piana. Sestertium X milia 3. Capsa. Sestertium X miliat0 Thuburbo Majus. Sestertium X milia tt. ?(Ilenchir Bedd). Sestertium VI inilial2 Zama. Sestertium IV milia". Verecunda. --Sestertium II milia1Y. Pagus Medelitanus. Sestertium II milial5 ? (Ilenchir Biniana). Sestertium II milia 1f. Sigus. Sestertium Îl CC 17. Vazi-Sarra. Sestertii mille 1$. De ce tableau, il résulte que les sommes honoraires n'étaient pas partout également élevées; il était naturel qu'elles fussent supérieures dans les municipalités importantes, plus peuplées, plus riches, qu'elles fussent plus faibles, au contraire, dans les petites villes et les villages. On voit aussi que souvent elles étaient les mêmes dans la même ville pour deux ou plusieurs fonctions différentes. Ainsi, à Cirta, on payait 20000 sesterces pour le décurionat, l'édilité, le triumvirat, magistrature suprême spéciale à cette ville, et la quinquennalité ; c'est ce qui existait aussi dans la Colonia Genetiva, où le duumvir et l'édile devaient verser chacun 2000 sesterces 19. M. Schmidt" a cru pouvoir conclure de certaines expressions employées dans les inscriptions africaines taxatio... sestertium, taxatae legitinlae, que la somme honoraire variait avec les individus et suivant leur fortune. Il ne me semble pas que l'on puisse admettre cette conclusion. La somme honoraire était une taxalio parce que la loi taxait chaque honneur à un certain taux ; mais rien ne prouve que ce taux fût variable avec les personnes. Rien ne permet non plus de dire, avec Marquardt21, que « le don d'avènement n'était payé que lors de la première élévation à une fonction, mais qu'il n'était pas dû lors de son renouvellement ». Il est possible, comme il l'avance ensuite, que « partout où la questure était comprise dans les honores », elle donnait lieu à la perception d'une somme honoraire, mais nous n'avons aucun document à l'appui de cette hypothèse. L'entrée dans le collège des Augustales entraînait aussi le payement d'un honorarium 22; une inscription d'Asidium parle d'une somme de 2000 sesterces23. Collèges. Les principes établis plus haut pour les sommes honoraires exigées dans les municipalités s'appliquent également à celles qui étaient imposées aux dignitaires des collèges 2'. On sait, au reste, que l'organisation municipale des collèges n'est qu'une copie de l'organisation municipale. Mais l'importance des dons d'avènement diminuait, ainsi qu'il est aisé de le concevoir, proportionnellement à la pauvreté de la société. Dans un collège d'Antium, on paye pour la dignité de magister 1600 sesterces25, tandis que dans une petite association d'Afrique (curie) il suffisait d'apporter quelques menus présents en nature : « Celui qui voudra être flamine, est-il dit dans le règlement de la société 26, devra donner trois amphores de vin, du pain, du sel et des rations de vivres. Celui qui voudra être magister devra donner deux amphores de vin. » Comme dans les municipalités, les collèges restaient libres de détourner de leur emploi habituel les sommes honoraires versées par leurs dignitaires; il suffisait, pour cela, d'un décret27. R. CAGNAT. II. L'honorarium municipal dans les cités grecques. In compatible par essence avec les institutions de l'âge classique et de presque toute la période antérieure à l'Empire, l'honorarium municipal était en parfaite harmonie avec la situation politique et sociale du monde hellénique aux premiers siècles de l'ère chrétienne, et il aurait pu naître spontanément dans une de ces villes d'Asie où l'exercice des magistratures par les riches était devenu, pour la cité et la masse des citoyens, une source en quelque sorte normale de revenus. Il semble cependant que nous soyons ici en présence d'un des rares cas où une influence latine a agi sur le développement constitutionnel des villes d'organisation hellénique. Il est remarquable, en effet, que ce soit une décision d'Anicius Maximus, proconsul de Bithynie, qui d'une extension et non de l'institution de cette charge, et la décision du proconsul n'intéressait qu'un territoire restreint. Mais l'intervention des fonctionnaires dans la 7soX;TE(a des villes est un fait trop exceptionnel pour qu'on puisse attribuer au hasard un exemple aussi significatif. Il faut tirer une conclusion semblable de l'absence de tout terme technique d'origine grecque qui s'applique à l'honorarium : Hadrien, pour le désigner, MOOVTE; 2) et c'est sur la langue de l'épigraphie latine que sont calquées les formules relatives à l'institution; éi p Isur-a'i;1 traduit gratis decurio. HON 238 IION L'honorarium était dû, tant pour l'entrée à la boule, que pour l'entrée aux diverses magistratures. Sur le développement de l'honorarium sénatorial, et relativement à la Bithynie, la lettre de Pline à Trajan citée plus haut, fournit des renseignements assez précis 1. La Lex Pompeia, statut organique de la province, était, à ce qu'il semble d'après un texte ambigu, muette à son sujet. Dans la suite, les sénateurs extraordinaires, c'est-à-dire ajoutés en surnombre à la boulê, prirent l'habitude de payer au trésor des villes un droit d'entrée de 1000 ou de 2000 deniers. Anicius Maximus rendit cette redevance obligatoire pour tous les sénateurs sans exception, mais dans un petit nombre de cités seulement, et la lettre de Pline indique qu'au début du 11e siècle le fait tendait à se généraliser. Vers le milieu du siècle, l'usage de l'honorarium est assez fortement établi pour que l'on en mentionne l'exemption comme un privilège Les inscriptions et les textes nous le signalent à Claudiopolis 3 sous Trajan, à Éphèse sous Iladrien, à Girindos5 sous Antonin, à Gortyne ° sous Septime-Sévère. L'honorarium des magistrats est logiquement postérieur à celui des sénateurs extra ordinem et sans doute, contemporain de celui des bouleutes ordinaires. Il s'étendit aux fonctions religieuses comme aux fonctions civiles : grande-prêtrise (Philadelphie, Éphèse) 7, prêtrise (Prusa de l'llypius) 8, stéphanéphorie (Jasos) 9, agorano mie (Prusias10, Philadelphie i1, Julia Gordus) 12, magistratures locales des bourgs, comme la ),oytereta 13, ou la 3cwtL«pXt«14 (Theira). L'importance de la somme ainsi versée variait naturellement suivant l'importance de la localité, l'éclat de la magistrature et aussi la générosité du nouveau magistrat. Elle ne dépassait sans doute pas dans les petites villes les 1000 ou 2000 deniers de l'honorarium sénatorial : à Theira la redevance due pour la xa1l.«p(ta n'est que de 100, pour la ),o?teTei« que de 250 deniers. Mais ailleurs les inscriptions signalent des contributions s'élevant à 50 000 deniers 15. La coutume ou la loi fixaient sans doute un minimum, mais le chiffre légal fut souvent dépassé par la libéralité des riches citoyens. C'est ainsi qu'à Éphèse la taxe habituelle ou légale était, dans un cas donné, de 40 000 deniers 16 : le personnage mentionné dans cette même inscription double la somme. De la même manière doivent s'expliquer les chiffres élevés donnés par les incriptions, car on ne saurait guère considérer comme représentantune taxe obligatoire les 50 000 deniers donnés, dans des villes secondaires comme Philadelphie ou Prusias, pour l'honorarium des sacerdoces locaux. Parfois, au lieu de verser une somme fixe, on se chargeait des frais d'un travail déterminé d'utilité publique '7. Que la sumnla honoraria provînt des bouleutes ou des magistrats, l'usage était d'en consacrer le produit à des entreprises d'édilité (établissement ou réfection d'établissements de bains à Theira 18, à Prusias 19, à Claudiopolis 20; d'un agora à Prusias21, d'édifices divers à Éphèse"). Les votes de l'ecclésia ét de la boulê 23, autant que la volonté du donateur, décidaient de l'affectation particulière des sommes versées. L'acte du convenlus des citoyens romains de Gortyne, disposant de la sunlma quam intulit pro decurionatu suo Fl. Tilianus 2°, serait inexplicable, si l'on ne devait admettre que la somme ainsi définie n'était qu'un don spécial fait par le nouveau décurion au corps dont il faisait partie, et qui s'ajoutait à l'honorarium dit à la cité. ISIDORE LevY. logie juridique des Romains, l'adjectif honorarius est pris dans deux acceptions distinctes : tantôt il désigne un titre ou une rémunération attribuée à une personne pour l'honorer (honorarii codicilli, honorarius tutor, honorarium), et tantôt une création de l'un des magistrats chargés de l'administration de la justice, le plus ordinairement le préteur (honorarium jus, honorarium arbitrium, honoraria actio, honorarius curator, honoraria obligatio, honorarius successor). 1. Hosoahnil conICILLI. C'est un diplôme d'honneur qui confère à une personne le titre d'une charge sans lui imposer le devoir de la remplir'. Cette distinction était accordée à des fonctionnaires d'un rang inférieur pour les récompenser de services rendus2. On conférait ainsi la dignité de préfet du prétoire3, de maître des offices4, de maître de la cavalerie 5, de proconsul', de praeses, vationalis7, vicarius, consularis 8, de comte du-consistoires, La concession des honorarii codicilli était très répandue au Bas-Empire 1D, et la faveur très recherchée. Il paraît même qu'on s'efforçait de l'obtenir à prix d'argent et sans y avoir aucun droit11 : c'était un moyen d'échapper aux charges du décurionat f2. De hauts personnages n'hésitaient pas à trafiquer de leur influence et à promettre leur protection. Les abus étaient criants, surtout en Afrique 13 : Constantin et ses successeurs tentèrent de les réprimer". Il fallut ensuite régler la situation de ceux qui obtenaient régulièrement les honorarii codicilli. D'abord on leur imposa certaines prestationsf5. Puis, devait-on les assimiler aux dignitaires qui avaient à la fois le titre et la fonction? Théodose Ter décida qu'ils viendraient immédiatement après16; Théodose II confirma, en 425, cette décision et fit seulement quelques exceptions en faveur des ex primiceriis notariorum17, des professeurs ayant vingt ans d'exerciceS8, etc. Quinze ans plus tard, il modifia le règlement antérieur par une constitution qui, seule, a été insérée au Code de Justinien. Les honorarii ne viennent plus qu'au quatrième rang dans la hiérarchie des dignités 19. Il y a encore au Code de Justinien deux constitutions de Zénon, l'une relative aux HON 239 IION poursuites criminelles à exercer contre les personnages décorés des honorarii codicilli et résidant à Constantinople', l'autre,imposant aux consuls honoraires l'obligation de payer, comme les consuls en exercice, cent livres d'or pour la réfection de l'aqueduc de Constantinople 2. H. HDNORARIUS TUTOR. Le tuteur honoraire est celui qui est dispensé de gérer la tutelle 3. Le cas se présente lorsqu'il y a pluralité de tuteurs, et qu'un seul d'entre eux est chargé de la gestion. Le tuteur honoraire joue le rôle de surveillant et sa responsabilité n'est que sub HL HDNDRARIUM. Le mot honorarium désigne d'une manière générale la rémunération de tous les services qui ne font pas l'objet d'un contrat de louage. Cette rémunération n'a pas le caractère d'un payement : c'est une façon d'honorer une personne à qui nous devons moins un service qu'un bienfait. Cette notion de l'honorarium résulte d'un passage du commentaire d'Ulpien sur l'Jditb. Elle s'applique à quatre classes de personnes :10 à celles qui rendent un service gratuit, mais que l'on indemnise parfois des dépenses et de la perte de temps que leur causent les soins donnés aux affaires d'autrui (mandataire, tuteur, dépositaire); 2° aux personnes exerçant une profession libérale (mensores, avocats, professeurs, médecins) ; 3° aux nourrices, pendant la durée de l'allaitement; 4° aux fonctionnaires. Pourquoi les Romains ont-ils placé dans une catégorie à part ces diverses classes de personnes? Le trait commun de leur situation, c'est que le service à rémunérer n'est pas rendu dans une pensée de spéculation. Le médecin, l'avocat n'entend pas réaliser un gain, faire une bonne affaire en soignant un malade, en plaidant pour autrui. Mais à côté de ce caractère commun, il y a des raisons particulières à chaque classe de personnes. On ne peut assimiler par exemple ceux pour qui les honoraires sont un moyen d'existence et ceux qui les reçoivent à titre exceptionnel, comme un mandataire ou un tuteur. A. La détermination du caractère juridique des honoraires a donné lieu à des difficultés qui se sont particulièrement manifestées dans le cas de mandat. Le mandat est un contrat essentiellement gratuit, et cependant la convention d'honoraires ne saurait le dénaturer : n'y a-t-il pas contradiction? La question n'est pas purement théorique. Le mandat est révocable°; et le droit de révocation sera précieux pour le mandant qui, ayant subi des revers de fortune, trouverait trop onéreux de continuer à-payer des honoraires au mandataire dont il a accepté les services, Le louage, au contraire, n'est pas révocable; le locator congédié a droit .à une indemnité'. D'ordinaire on résout la question en disant : les honoraires sont la rémunération de services d'une valeur inappréciable en argents. Mais cette manière de voir ne saurait se défendre en présence des textes qui affirment que les mêmes services peuvent faire l'objet d'un mandat ou d'un louage, suivant qu'ils doivent être fournis gratuitement ou moyennant un salaire 9. Et cela est vrai, non seulement pour les travaux manuels comme ceux d'un foulon ou d'un ravaudeur, mais même pour les services consistant àconclure un acte juridique, par exemple à fournir caution 10 La différence entre les honoraires du mandataire et le salaire du locateur de services me paraît consister en ce que les honoraires n'ont pas le caractère d'une contreprestation. Le louage, comme la vente, est un contrat commutatif dans lequel chacune des parties entend recevoir l'équivalent de ce qu'elle fait ou de ce qu'elle donne. Chacune d'elles espère retirer un avantage de l'opération qu'elle a conclu; son but est de réaliser un gain. Rien de pareil dans le mandat : les honoraires doivent servir à compenser un préjudice". Certains textes les caractérisent par le mot solacium12, Aussi peuvent-ils être accordés par le juge, lorsqu'ils n'ont pas été promis d'avance 13. L'indemnité attribuée au mandataire à titre d'honoraires, s'applique soit à la perte qu'il a faite en sacrifiant une partie de son temps dans l'intérêt du mandataire (laboris remuneratio 15), soit à tous autres frais qu'il a dû exposer15. Mais on ne saurait y comprendre la somme allouée au mandataire pour subvenir à ses besoins, lorsqu'il est sans ressources1°. Les Romains distinguent alimenta et honorarium. La condition requise pour avoir droit à des aliments n'est pas exigée pour les honoraires. Ce qui vient d'être dit du mandat s'applique aussi au dépôt'', bien que le cas soit plus rare dans la pratique, et à la tutelle 18. On l'a entendu au courtage. Ceux qui font métier de s'entremettre entre vendeurs et acheteurs, capitalistes et emprunteurs, ne sont pas de véritables mandataires ; ce sont plutôt des indicateurs. On n'admet pas non plus qu'ils louent leurs services, même lorsqu'ils reçoivent un philanthropium. On les déclare seulement passibles de l'action de vol, quand ils usent de manoeuvres frauduleuses pour circonvenir leurs clients 19. Lorsque la profession de proxeneta se fut généralisée et qu'il y eut dans les grandes villes des officines de courtiers, il fut d'usage de leur payer une commission (proxeneticum). La jurisprudence eut à décider si la perception d'un droit de courtage était licite 20. Elle reconnut que le métier de courtier, bien que sordide, ne devait pas être réprouvé. Dès lors les magistrats prirent l'habitude de connaître extra ordinem des contestations relatives au paiemenient des droits de courtage 21. L'analogie avec l'honorariuln est ici de pure forme, et l'on ne saurait dire que le proxeneticum soit payé pour honorer le courtier. B. En lisant le fragment d'Ulpien relatif aux personnes autorisées à réclamer des honoraires par une persecutio extra ordinem, on est surpris d'y voir figurer les nourrices. Il s'agit, bien entendu, de femmes libres et non de l'empta nutrix dont parle Tacite 22. A quel titre leur accorde-t-on une rémunération? Ce n'est pas pour les HON -240HON soins qu'elles peuvent donner à l'enfant : le droit n'existe que pour les nourrices qui allaitent et pour la durée de l'allaitement. Si elles restent au service de l'enfant après qu'il est sevré, elles rentrent dans la catégorie des mercenaires. La rémunération est donc motivée par l'allaitement; on a considéré que le lait d'une femme libre n'était pas un fruit susceptible d'être l'objet d'un contrat commutatif. C. Les Romains n'ont jamais hésité à ranger dans une classe à part ceux qui exercent une profession libérale. Aux services qui font l'objet d'un louage, operae, ils opposent les artes liberales ou ingenuae. Cette distinction repose-t-elle uniquement sur la nature du service rendu? ou faut-il tenir compte en même temps de la situation personnelle de l'auteur du service? A mon sens, les deux idées ont l'une et l'autre exercé leur influence. Les Romains, comme les Grecs, considéraient les professions libérales comme des sacerdocest. A leurs yeux, la science est un don du ciel2; il en est ainsi de la philosophie', de la médecines, de la jurisprudence'. C'est déshonorer la science du droit, dit Ulpien 6, que de l'estimer à prix d'argent, et Quintilien avait déjà fait remarquer qu'une chose vénale ne pouvait être en même temps respectable 7. Sénèque a essayé de rétrécir le cercle des disciplines libérales; il eu a exclu tout ce qui est en dehors de la philosophie 8. Pour lui laphilosophie seule est inestimable; les autres disciplines ayant un but technique ne diffèrent pas essentiellement des arts manuels. Tout ce qu'on peut admettre, c'est qu'on ne saurait trop les payer, mais une fois que l'on est d'accord sur le prix, l'acheteur qui a payé ne doit plus rien au vendeurs. Cette opinion n'a pas prévalu. Quintilien la repousse pour la rhétorique et la grammaire10, et les jurisconsultes classiques lui ont donné raison contre Sénèque". Il y a cependant un passage d'Ulpien 12 qui semble inspiré par les idées de Sénèque. 11 fait aux philosophes une place à part et leur refuse le droit de réclamer en justice des honoraires. Mais la raison qui détermine Ulpien est toute spéciale. C'est un écho de la morale stoïcienne qui était très en faveur sous les Antonins f3 et qui conserva des partisans sous leurs successeurs. Ceux qui enseignent le mépris des richesses ne peuvent, sans contradiction, solliciter l'intervention du magistrat pour se faire payer des honoraires". Il est d'ailleurs à noter qu'Ulpien se sépare de Sénèque en ce qu'il fait rentrer la jurisprudence dans la philosophie. La science du droit, dit-il, est une philosophie vraie et non simulée"; par suite, c'est une chose très sainte ; et il en tire cette conséquence que le jurisconsulte pas plus que le philosophe ne peut, sans déshonneur, réclamer en justice des honoraires. Les professions libérales conservent-elles leur caractère particulier lorsqu'elles sont exercées par des esclaves? Si un esclave acquiert les connaissances nécessaires à l'une de ces professions", dira-t-on que son maître ne peut tirer parti de ses services, les louer au sens propre du mot? C'est une tout autre question. L'esclave à Rome a une valeur sur le marché, et pour déterminer cette valeur on tient compte des qualités physiques ou intellectuelles qu'il peut avoir, des revenus qu'il est susceptible de procurer à son maître. Or, pour caractériser ces revenus, les Romains n'ont qu'un mot, précisément celui qui sert à désigner les services qu'on promet contre argent, operae 17. Aussi Sénèque dit-il que l'esclave est un mercenaire à perpétuité". L'homme vraiment libre aux yeux des Romains est celui qui peut se dispenser de faire aucun travail payé". L'ouvrier, l'artisan qui travaille pour recevoir un salaire, peut être libre en droit : sa situation au point de vue social ne diffère pas beaucoup de celle d'un esclave, car il a aliéné une partie de sa liberté, il est à la discrétion du patron. L'engagement contracté confère au conducior le droit d'user de contrainte envers lui, de l'appréhender au corps s'il ne tient pas sa promesse et n'exécute pas le jugement qui le condamne. Tout cela est une marque de servitude, et, suivant le mot de Macrobe20, il n'est pas de servitude plus honteuse que la servitude volontaire. Les artes liberales ou ingenuae ne conservent donc leur caractère propre et ne méritent leur dénomination que si elles sont exercées par un homme libre, par un ingénu21. Reste à dresser la liste de ces professions. 1° En première ligne figure l'arpenteur (mensor). C'est pour lui que la question s'est posée tout d'abord lorsque cette fonction a cessé d'être remplie par les augures". Le préteur l'a résolue en refusant d'assimiler un tel personnage au locateur de services [AGDI11ENsoli, p. 166]. Un rescrit de Septime-Sévère a étendu la disposition de l'Édit à l'architecte et au redemplor23. 2° Vient ensuite l'avocat. Dès le milieu du vie siècle de Rome, la loi Cincia lui interdit de recevoir des dons ou de l'argent avant la plaidoirie". Mais cette loi n'avait qu'une sanction morale". En '737, la loi Julia Judiciorum publicorum frappe les contrevenants de la peine du quadruple 26. Plus sage que ses prédécesseurs, Claude permit aux avocats de recevoir des honoraires, mais il limita à 10000 sesterces la somme que l'avocat pouvait exiger, sous peine d'être poursuivi comme concussionnaire27. Néron força les plaideurs à payer aux avocats justam certalnque mercedem28. Enfin Trajan revint à la règle posée par Claude 29 et qui, désormais, ne devait plus être modifiée30 [ADVOCATIO, p. 00]. Dioclétien compléta le règlement établi par ses prédécesseurs en fixant les honoraires des avocats à 250 deniers pour la postulalio et à 1000 pour la cognitio31. Un demi-siècle plus tard, on permit de payer en nature les honoraires de l'avocat' Un édit d'Ulpius Mariscianus, gouverneur de Numidie sous le règne de Julien, accorde e modii de blé pour la postulatio, 10 pour la contradictio, 15 pour toute affaire in urguenti quae finienda sit". Bientôt après, on revint aux payements en numéraire, et le maximum fut fixé IION 241 HON à 100 aurei 1, ce qui, en tenant compte des variations de valeur de Paumes, représente une somme à peu près équivalente à celle de 10000 sesterces. Si l'avocat ne peut louer ses services, il ne peut pas davantage s'associer avec son client en vue de partager le montant éventuel de la condamnation prononcée contre le défendeur. Le pacte de quota luis est prohibé 2. Quintilien l'appelle piratieus mos, abominanda negotiatio Il est pareillement défendu à l'avocat de conclure avec son client, dans le cours du procès, aucun contrat, aucun pacte, sous peine de radiation w. On a craint que le client n'acceptât des conditions trop désavantageuses. La convention relative aux honoraires était seule permise, mais devait être faite ouvertement. L'avocat pouvait se faire promettre, après la fin de l'instance, un palmarium, c'està-dire un supplément d'honoraires pour le gain du procès. 11 était autorisé à en réclamer l'exécution en justice, à, l'exception des honorati de Rome qui doivent, dit Valentinien, plaider pour la gloire et non pour de l'argent. A défaut de convention préalable, le magistrat devait, pour fixer le chiffre des honoraires, tenir compte de la valeur du litige, de la coutume du lieu, du talent de l'avocat et de la juridiction devant laquelle il devait plaider 7 . Dans l'usage, pour prévenir des difficultés, l'avocat exigeait une provision ou même le payement préalable des honoraires$. La somme versée lui était définitivement acquise, sauf le cas où il n'avait pas plaidé par sa faute 9. En cas d'empêchement pour cause de maladie, comme en cas de décès, pas de restitution10. Le client qui refusait de consigner les honoraires courait le risque de voir son affaire traîner en longueur. Aussi Justinien ordonne-t-il, dans l'intérêt de la prompte expédition des affaires, que les honoraires soient traités comme des frais de justice et recouvrés par les exsecutores negoliorum41 Lorsque le client n'était pas en mesure de payer d'avance, certains avocats se faisaient souscrire un billet constatant le prêt fictif d'une somme équivalente au montant de leurs honoraires. Mais ils couraient le risque de se voir opposer l'exception non numeratae pecuniae 12. Quant aux plaideurs indigents, dès le temps d'Alexandre Sévère, ils devaient être défendus gratuitement. Une indemnité était accordée à l'avocat aux frais du Trésor public43. 3° Les études libérales furent pendant longtemps à Rome restreintes à quelques matières spéciales, telles que le droit civil et la géométrie. Elles ne faisaient pas partie de l'éducation générale, mais étaient le privilège d'une élite. L'étude du droit formait un monopole pour le collège des pontifesl'". Celle de la géométrie était peutêtre réservée au collège des augures, s'il est vrai qu'ils aient joint, dans l'origine, à leurs fonctions sacerdotales celles de mensores [AGmsENsoR, p. 16G, AUGUR, p. 558]. Au cours du vi° siècle de Rome, l'étude du droit et de la géométrie dans son application à l'art du mensor devint accessible aux profanes15, et au vile siècle, il existait, V. au moins pour le droit, un enseignement dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui16.A cette même époque, sous l'influence de la Grèce, les études libérales avaient pris un large développement. Dès le commencement du vie siècle apparaissent les écoles publiques de grammairiens17; bientôt après s'ouvrent les écoles de rhéteursl6. Il y eut alors à Rome une classe assez nombreuse de professeurs (praeceptores studiorum liberalium) qui tiraient leurs moyens d'existence de la rémunération payée par leurs élèves. Les uns convenaient à l'avance avec les parents du montant de la merces; les autres s'en remettaient à leur générositéf9. La convention, quand elle avait lieu, n'avait point le caractère d'un contrat, pas plus que la merces n'était traitée comme la contre-prestation d'un louage de services. Aucune action n'était donnée pour faire exécuter la promesse. Si quelques grammairiens étaient largement rétribués comme Verrius Flaccus, le précepteur du petit-fils d'Auguste20, le plus grand nombre n'avait guère à se louer de la reconnaissance de leurs élèves. Un contemporain de Cicéron, Orbilius, écrivit un livre intitulé Perialogos où il exposait ses doléances sur les affronts que la négligence ou l'ambition des parents faisait subir aux professeurs 21. Tout le monde voulait apprendre, mais personne n'était disposé à payer22. Pour mettre fin aux abus, le préteur dut interposer son autorité. Au temps de Juvénal il avait pris sur lui de connaître des contestations relatives aux honoraires des professeurs. Le poète dit, en effet, qu'il était très rare qu'on n'eût pas recours à la cognitio tribuni23. Or l'intervention des tribuns de la plèbe ne se conçoit que s'il s'agit de casser le décret d'un magistrat24; ils n'avaient pas qualité pour réformer la sentence d'un juge. Vers la même époque, Vespasien avait institué des professeurs publics rétribués aux frais de l'État 2J. Dans les provinces, pour attirer e t re tenir les grammairiens, certaines cités leur assuraient un salaire fixe. Plus tard, l'édit de Dioclétien26 fixe la rétribution mensuelle, à payer pour chaque élève, à 200 deniers pour les grammairiens et les géomètres27. Constantin prescrit aux préfets du prétoire de veiller à ce que le traitement des médecins, grammairiens et des autres professeurs de lettres leur soit payé28. Enfin Justinien, dans la pragmatique Pro pelitione Vigilii, confirme le droit à l'annone reconnu par ses prédécesseurs au profit des grammairiens, orateurs, médecins et jurisconsultes d'Italie2'. Ce n'est pas seulement à titre de praeceptores que ceux qui exerçaient une profession libérale pouvaient solliciter le secours du préteur. Ceux d'entre eux qui étaient en même temps des praticiens, ce qui était souvent le cas pour les géomètres30, jouissaient du même privilège, quant à la rémunération due pour l'exercice de leur art. Il y a toutefois une difficulté : dans son commentaire sur l'Édit, Paul parle d'un mensor conductus31. N'est-ce pas la preuve qu'au commencement du Ille siècle 31 IION -2142IION de notre ère, la notion de la locatio operarum avait été élargie et comprenait désormais les services du mensor? Je ne crois pas qu'il faille attacher ici quelque importance à l'emploi du mot conducere. Un contemporain de Paul, Ulpien', affirme de la façon la plus précise que la convention conclue avec un mensor ne constitue pas un louage et ne peut donner lieu à l'action ex locato. Paul, au contraire, ne se propose pas de définir la nature du rapport de droit formé entre le mensor et son client; il examine une question toute différente, celle de savoir si les honoraires du mensor doivent être compris dans les frais d'un procès en bornage. Il se prononce pour l'affirmative, parce que ces honoraires doivent être considérés, non comme une donation rémunératoire, mais comme une dépense nécessaire qui ne doit pas rester exclusivement à la charge de celui des plaideurs qui l'a faite. Le mot conducere, appliqué par Paul au mensor, est pris ici par Paul, non pas dans son sens technique, mais dans son acception étymologique'. On a cependant prétendu que la situation du mensor n'était plus au temps de Paul ce qu'elle était autrefois, à l'époque des Veteres dont parle Ulpien 3. On a invoqué à l'appui un passage d'Ulpien lui-même dans son Traité De excusationibus'. Il dit que les géomètres ne sont pas exempts de la charge de la tutelle, alors que les rhéteurs et les grammairiens en ont été dispensés par des rescrits de Marc-Aurèle et Verus, de Sévère et Caracalla'. La raison n'est rien moins que décisive, car Ulpien met les professeurs de droit sur la même ligne que les géomètres, et nous savons par Modestie que l'exception n'était pas applicable à ceux qui résidaient à Rome'. On ne saurait soutenir que la situation des professeurs de droit ait été diminuée au temps des grands jurisconsultes classiques. Si géomètres et professeurs de droit n'étaient pas exempts de la tutelle, c'était pour une tout autre raison que celle qui a été alléguée. L'énumération faite par Ulpien des professeurs autorisés à exercer une persecutio extra ordinem, n'est pas limitative. Mais il prend soin d'exclure les philosophes' et les professeurs de droit'; les uns et les autres peuvent recevoir, mais non réclamer des honoraires. C'était là une règle nouvelle, au moins pour les philosophes : le témoignage de Lucien le prouve 9. Mais la doctrine d'Ulpien était conforme aux principes de la morale stoïcienne. Comment un philosophe aurait-il pu se plaindre au préteur, alors que la première vertu qu'il doit avoir est le mépris des injures et des affronts10? Pour les jurisconsultes qu'Ulpien compte au nombre des philosophes, il semble qu'il n'ait pas été d'usage, aux premiers siècles de l'Empire, de solliciter l'intervention du préteur pour le règlement de leurs honoraires. S'adressant à un public plus restreint que les rhéteurs ou les grammairiens, jouissant dans la cité d'une grande considération, occupant souvent une situation éminente, ils devaient rarement avoir avec leurs élèves des contestations à trancher judiciairement. Il n'était pas dans les habitudes des Romains qui voulaient apprendre la science du droit de laisser leurs maîtres manquer du nécessaire. Pomponius" nous apprend que le jurisconsulte Massurius Sabinus, contemporain d'Auguste et de Tibère, était peu fortuné, mais qu'il fut largement mis à l'abri du besoin par ses auditeurs. Il n'existait pas d'ailleurs à cette époque, et il n'y eut pas de longtemps encore, un enseignement du droit rétribué par l'État12. Si le droit de réclamer les honoraires extra ordinem fut dans le principe réservé aux praeceptores studiorum liberalium, l'usage s'introduisit d'accorder la même faveur aux maîtres élémentaires, tels que le luth litterarii magister et le calculator 13. Pour celui-ci, l'extension fut d'autant plus facile qu'il était parfois assimilé à un professeur. Antonin le Pieux jugea nécessaire de faire la distinction 13. Dans un monument épigraphique, un certain Lupulius Lupercus est qualifié doctor amis caleulatoriae15 Le droit d'agir extra ordinem fut pareillement accordé à de simples secrétaires chargés d'une mission de confiance dont l'accomplissement exigeait l'initiation à certaines études libérales" : tel était le librarius, dont la profession supposait un certain apprentissage, car on trouve cité un doctor librarius"; et Tarruntenius Paternus nous apprend que les librarii qui docere possunt sont exempts des minera graviora18 ; tels étaient aussi le teneur de comptes19, le notarius20, le tabulnrius. Si pour les mensores, les avocats et même les professeurs, la question du droit aux honoraires fut posée dès le temps de la République, pour les médecins elle ne paraît pas avoir été soulevée avant le début de l'Empire 21 Jusque-là, cette profession n'était exercée que par des esclaves ou par des affranchis22. Mais dès le règne d'Auguste, les citoyens n'hésitent plus à pratiquer un art largement rémunéré : c'est M. Artorius, médecin de l'empereur 23, A. Cornelius Celsus qui exerçait sous Tibère'', Q. Stertinius qui gagnait 600000 sesterces, rien que dans sa clientèle privée25. Les services qu'ils rendaient étaient si appréciés que Quintilien 26 se demande quel est, de l'orateur, du philosophe ou du médecin, l'homme le plus utile à l'État : c'est dire qu'au point de vue social, on les mettait au moinssur le pied de l'égalité. Aussi leur a-t-on reconnu, comme aux professeurs, le droit de réclamer des honoraires extra ordinem. La cause de leur créance est plus juste encore, dit Ulpien 27, puisqu'ils prennent soin de notre santé. Mais tous les médecins ne jouissent pas du privilège : il est refusé aux simples opérateurs" comme ceux qui font des saignées 29 et à ceux qui usent d'incantations, d'imprécations ou d'exorcismes30 Ni les uns ni les autres n'ont besoin d'avoir fait d'études libérales : on ne saurait donc les assimiler à des professeurs. Il en était vraisemblablement de même des médecins qui soignaient leurs clients dans des officines3' [clnnunGlA, t. II, p. 110]. Les constitutions impériales les plaçaient dans HON 243 IION une catégorie inférieure. Ceux-là seuls qui se rendaient auprès du lit du malade étaient exempts de la charge de la tutelle'. Quant aux spécialistes qui soignent les maux d'oreilles ou de dents, si au point de vue social on les traite comme des médecins, au point de vue du droit, il est moins certain qu'on doive leur reconnaître la faculté d'agir extra ordinem, bien que, suivant Ulpien, cette opinion compte quelques partisans'. Pour les sagesfemmes, Ulpien décide sans hésiter que le magistrat doit accueillir leur demande et en connaître extra ordinem 3. Mais il vise spécialement celles qui paraissent s'occuper surtout d'exercer la médecine. Un certain nombre d'entre elles soignaient les maladies des femmes; on leur donnait souvent le nom de medicae'. Elles acquéraient dans la pratique de leur art une compétence particulièrement appréciée et les magistrats les chargeaient de remplir des missions de confiance 6. La convention par laquelle un médecin promet de soigner un de ses clients ne constitue pas plus un louage de services que celle qui est faite par un mensor. Si le médecin ne tient pas sa promesse, le client ne pourra agir ex locato. Mais le préteur a créé à son profit une action in factum analogue à celle qui était donnée contre le mensor. C'est du moins ce qui résulte d'un fragment de Pomponius', restitué d'après les Basiliques Un rescrit de Marc-Aurèle et Verus autorisa les magistrats à connaître extra ordinem des réclamations des clients'. A plus forte raison, le magistrat serait-il compétent si la réclamation était motivée par l'indélicatesse du médecin. Un oculiste avait abusé de sa situation pour se faire céder par son client les terres qu'il possédait : il lui avait administré des médicaments qui l'avaient mis en danger de perdre la vue, et c'est dans ces conditions qu'avait eu lieu la vente. Le président de la province, dit Ulpien, rescindera la vente et ordonnera la restitution des biens" D. S'il est indigne d'un homme libre de promettre ses services contre argent, il va de soi que les services exigés par l'État d'un citoyen doivent être gratuits. Telle est en effet la règle générale pour les honores, pour les muliera", et même pour le service militaire (minus militiae)f2. Les magistrats, de même que les simples citoyens qui prenaient part aux comices ou remplissaient la fonction de juge ou de député, ne recevaient aucun salaire. Toutefois il était d'usage, dans certains cas, que l'État fournît les prestations en argent ou en nature pour indemniser le citoyen des dépenses qu'il avait dît faire. Les municipes en faisaient de même pour les députés qu'ils envoyaient auprès d'un magistratf3 ou de l'empereur : ils leur remettaient un viaticuml''. Les magistrats, à Rome, étaient défrayés de toutes les dépenses occasionnées par l'exercice de leur charge". Ceux qui étaient envoyés dans les provinces recevaient, dès le temps de la République, une somme fixe (vasarium) sur laquelle ils devaient imputer leurs dépenses f6. _ 5 Plin. Ilist. rat. XXVIII, 6. 6 CC. le rescrit de Marc-Aurèle et Verus au priteor urbain Valerius Prisciaous. 7 01g. XIX. 5, 26, 1. 8 Lib. XX, Lit. V, 27 Auguste en fit autant pour tous les fonctionnaires provinciaux d'ordre sénatorial". Les magistrats avaient aussi le droit de réquisition qu'ils transformaient souvent en un droit à une somme fixe (frumentum in cellam) [AESTIMATUM, p. 126.] Quant aux auxiliaires des magistrats, les uns étaient salariés; nous n'avons pas à nous en occuper; les autres, qui ne touchaient ni solde ni salaire, avaient droit tout au moins aux vivres nécessaires pour leur subsistance [CusARIA, p. 1169]. Mais il fut d'usage de bonne heure de leur accorder un tant par jourpour remplacerles cibariai8. Les officiers et les cornues, attachés au service des magistrats supérieurs, recevaient en plus, sous le nom de congiarium pour le vin 19, de salariutn pour le sel 20, des gratifications variables suivant leur rang et la durée de leur service21. Sous l'Empire, toutes ces gratifications furent transformées en une solde fixe22. Mais cette solde a conservé quelque chose de son caractère antérieur : on ne l'a jamais considérée comme le prix d'un service. Aussi les cornacs, assesseurs des gouverneurs de province 23, ontils le droit de réclamer leur salaire par une perseclltio extra ordinem 2i. Il en est de même des juris studiosi25 depuis un rescrit d'Antonin le Pieux 26. Comme les gratifications, la solde variait suivant le rang des assesseurs. C'est du moins ce qui est attesté pour les conseillers de l'empereur : ils touchaient de 60 000 à 100 000 sesterces27. Bien différente était la situation des procuratores impériaux. C'étaient, au moins sous les premiers empereurs, des affranchis. Leurs services étaient des operae, au sens exact du mot. Les sommes qui leur étaient allouées avaient le caractère d'un salaire et non d'une gratification 26. On ne saurait en dire autant de la solde des militaires. Le salarient militiae ne transforme pas l'armée romaine en une troupe de mercenaires. Le service militaire est toujours resté en principe gratuit. Cicéron désigne parle mot beneficium les gratifications accordées aux militaires 26. La somme fixe allouée à chaque soldat doit servir à le défrayer de ses dépenses d'équipement et d'entretien 30. Pour reconnaître son dévouement, l'État lui accorde des récompenses de diverse nature (praemia militiae)". Étant donné le caractère des acquisitions faites à l'occasion du service militaire, on s'étonnera moins que les constitutions impériales en aient formé, pour les fils de famille, sous le nom de pécule, une masse distincte du patrimoine paternel [PECULIV1I CASTREISE]. Les gratifications accordées aux militaires avaient un caractère essentiellement personnel, tandis que le principe qui faisait profiter le père des acquisitions réalisées par son fils s'appliquait, dans l'origine, aux produits de son travail manuel, à des services analogues à ceux que rend l'esclave chez un peuple de cultivateurs32_ Varr. De Urey. lat. V, 90; cf. I1larquardt. Ilandb. t. V, p. 544 ; Bouché-Leclerq, HON 244 --II0N IV. Jus novoa.Amu1. Le jus honorarium est la portion du droit privé qui résulte de l'Édit des magistrats [EDICTuM]. Les textes l'identifient avec le jus praetoriur', parce qu'il dérive en majeure partie des édits des préteurs urbain et pérégrin 2. Mais il y a d'autres magistrats dont les édits ont contribué à la formation du jus honorarium: ce sont à Rome les édiles curules, dans les provinces les gouverneurs et les questeurs'. Nous envisagerons le jus honorarium au double point de vue de sa formation et de son objet. A. Formation du « jus honorarium ». -1° Les édits contenaient, en dehors des formules destinées à faire valoir en justice les droits consacrés par le droit civil, des déclarations par lesquelles le magistrat faisait connaître au public dans quels cas il se proposait d'intervenir pour maintenir l'ordre dans la cité. Ces déclarations, qui étaient suivies, le cas échéant, d'une formule appropriée, sont le point de départ du jus honorarium. 92 Comment ces déclarations peuvent-elles servir de fondement à un droits? Le préteur est chargé de dire le droit, non de le faire. Il est le serviteur de la loi, non l'égal du législateur. Le peuple ne lui a pas délégué son pouvoir législatif; il lui a seulement attribué la faculté de prendre les mesures exigées par le bien public pourvu qu'elles n'aient rien de contraire à la lois. Aussi le préteur ne dit-il jamais, comme le législateur : Ita jus esto 7, il dit : Judicium dabo 8, in integrum restituam 9, satisdare juhebo 10, in possessions esse jubebo ", pacta conventa servabo12. De telles déclarations n'ont, à aucun degré, le caractère des dispositions législatives. Elles n'ont de valeur que tuilione praetoris ", et encore ne peut-on y compter comme sur un droit consacré par la loi : ce qu'un préteur a promis, un autre peut le refuser. Si donc il existe un jus honorarium, on peut tenir pour certain que ce droit n'a pas été établi directement par les magistrats. Cette conception théorique du jus honorarium est confirmée par les textes. Les Romains ne reconnaissent comme une source du droit que celle qui repose sur le consentement exprès ou tacite du peuple : la loi, le plébiscite, la coutume. Ils ont assimilé à une source du droit les sénatus-consultes, les constitutions impériales, les réponses des prudents autorisés par l'empereur. Ils n'en ont pas fait autant pour les édits des magistrats. C'est l'usage des edicta translaticia qui a donné à certaines déclarations insérées dans l'Édit une fixité et une stabilité analogues à celle des dispositions législatives. En promettant d'une façon permanente de protéger ceux qui se trouveraient dans une situation déterminée, les magistrats ont créé au profit de ces personnes un état de fait équivalent à un état de droit. Ni la rédaction de l'édit perpétuel sur l'ordre d'Hadrien ni même le sénatus-consulte qui l'a confirmé, n'ont rien ajouté à la force que les dispositions édictales puisaient dans la tradition constante des préteurs. Les jurisconsultes postérieurs en parlent comme on l'aurait fait au temps de Cicéron. Gaïus évite de dire qu'elles tiennent lieu de lois". Marcien distingue les règles édictales de celles quae legis vicem obtinentf5. Mais il ne faut pas exagérer la portée de ces réserves plutôt théoriques que pratiques. Justinien, dans un passage qui paraît em.. prunté à Ulpien, reconnaît aux déclarations édictales non modicam juris auctoritatem's et Paul croit utile de faire observer que nec minus jus recte appellatur in deitale nostra jus honorarium 14. 3° Le but du préteur, en introduisant des règles nouvelles, est marqué dans un texte célèbre de Papinien'2 Il se propose soit d'assurer l'application du droit civil (adjuvare), soit d'en combler les lacunes (supplere), soit enfin de le corriger (corrigere). Corriger le droit civil, n'est-ce pas se mettre au-dessus de la loi ? Non. Le pouvoir du préteur ne va pas jusqu'à lui permettre de changer la loi.: il peut la perfectionner, en paralyser l'effet, en suspendre l'application, il ne peut pas l'abroger. D'ailleurs le préteur ne s'est pas posé dès l'abord en réformateur du droit civil ; les débuts du jus honorariuni ont été très modestes. Le préteur n'a jamais fait un pas en avant que secondé par l'opinion publique, et avec l'assentiment de la pratique judiciaire, Aussi Marcien l'appelle-t-il viva vox juris civilis'9. Sans doute des abus ont pu se produire, mais ils étaient peu dangereux grâce au système de l'intercessio ; et ils ne pouvaient se perpétuer puisque les fonctions publiques étaient temporaires. Enfin on avait le moyen de les prévenir en choisissant des magistrats décidés à ne pas empiéter sur les attributions des comices. 4° L'une des causes qui ont facilité les progrès du jus honorarium, et qui ont fait accueillir si favorablement les innovations qu'il renferme, c'est que le préteur s'est toujours efforcé de les rattacher au droit civil. S'il s'inspire d'idées plus larges, s'il étend l'horizon du droit romain en dehors des frontières du Latium et même de l'Italie, il ne perd jamais de vue le droit national. C'est ainsi qu'il donne aux liberi vocation à la succession paternelle en les présentant fictivement comme des sui50, au bonorum emptor l'action Servienne en le faisant passer pour l'héritier du débiteur dont il a acheté les biens21, à certains possesseurs l'action Publicienne, en supposant qu'ils ont achevé une usucapion simplement commencée u. Et cependant le préteur, tout en se rattachant en apparence au droit civil, s'écarte profondément du point de vue antique : avec le pacte d'hypothèque, il modifie le système du crédit réel; avec l'action de peculio, il prépare l'émancipation économique du fils de famille; avec la bonorumnpossessio, il atténue les inconvénients d'un régime successoral fondé sur l'agnation pour faire prévaloir l'affection présumée du défunt. 5° La formation du jus honorarium remonte en grande partie au temps de la République. Au temps de Cicéron, la portion de l'album consacrée aux edicta translaticia était si importante qu'on regardait déjà l'édit du préteur comme une des sources principales du droit privé23, Sous l'Empire, d'Auguste à Iladrien, le jus honorarium s'est développé d'une façon différente : le pouvoir .FION 24J HON attribué jusqu'alors au préteur n'était guère compatible avec la nouvelle forme de gouvernement. L'empereur ne pouvait souffrir qu'il y eût à côté de lui un magistrat exerçant sur la formation du droit une influence prépondérante I1 n'y eut cependant rien de changé, en principe, dans les attributions des préteurs, mais en pratique il a dû plus d'une fois en être autrement. Certains documents nous révèlent à cet égard un fait caractéristique le préteur n'a plus, comme autrefois, l'initiative des dispositions nouvelles insérées dans l'Édit; il défère à un avis exprimé par une loi ou par un sénatus-consulte. On lit, par exemple, dans le Velléien : « Les magistrats compétents 'agiront recto algue ordine s'ils font en sorte que la volonté du Sénat soit observée z. » Conformément à cet avis, le préteur inséra dans son Édit une exception nouvelle, l'exception du sénatus-consulte Velléien'. Il en fut de même pour le sénatus-consulte Macédonien'' Parmi les bonorum possessiones, par lesquelles les préteurs ont modifié le régime successoral des Douze Tables, il en est une qui est donnée ex legibus et senatusconsultis'. Un autre fait démontre le rôle désormais effacé du préteur dans la formation du droit : c'est qu'aucun des préteurs institués sous l'empire, ni le préteur hastarius qui préside le tribunal des centumvirs, ni celui qui est chargé de dire le droit entre le fisc et les particuliers, ni le préteur tutelaris, ni même le préteur de liberalibus causis, n'a, à notre connaissance, publié d'edictum perpetuum. Dans la période d'Auguste aux Antonins, le jus honorarium s'est développé surtout par voie d'interprétation°. Ce fut même l'oeuvre principale de la jurisprudence'. Dans les dispositions du jus honorarium parvenues jusqu'à nous, il n'est pas toujours facile de distinguer la part qui revient au préteur, et celle qui appartient aux jurisconsultes de l'époque classique. Les constitutions impériales ont également contribué au développement du jus honorarium. On rencontre fréquemment des rescrits qui, par interprétation des règles édictales, étendent l'application de certaines actions ou exceptions prétoriennes'. 6° Les travaux des jurisconsultes sur l'Édit n'ont pas eu seulement pour résultat d'élargir le jus honorarium ils en ont préparé la fusion avec le jus civile. Les commentateurs avaient pris l'habitude d'expliquer les règles du droit civil à propos des dispositions de l'Édit relatives au même objet, ou des actions civiles contenues dans l'album. L'exemple fut suivi par les auteurs de Digesta dans ces grands ouvrages, le droit civil devint un appendice du droit honoraire. Du rapprochement de ces deux sources du droit sur une matière déterminée, les jurisconsultes classiques dégagent les théories générales qui la gouvernent et font ainsi ressortir l'unité du droit, quelle que soit la provenance des règles dont il se compose. Malgré les efforts de la jurisprudence, la distinction du jus honorarium et du jus civile a subsisté, et n'a pas entièrement disparu sous Justinien. Et cependant, deux faits auraient dû, semble-t-il, la faire disparaître. D'abord le sénatus-consulte qui a confirmé la rédaction de l'Édit perpétuel faite sur l'ordre d'Hadrien. Mais il n'a eu d'autre effet que d'imposer aux magistrats le devoir d'insérer dans leur album le texte approuvé par le Sénat. Ensuite l'abolition de la procédure formulaire au commencement du ive siècle de notre ère. S'il est vrai que les déclarationsédictales tirent leur efficacité de la protection promise par le magistrat, si cette protection se manifestait, dans la plupart des cas, par la faculté d'employer des moyens de procédure qui se rattachent au système formulaire, et dont le juge ne pouvait tenir compte qu'en vertu d'un ordre donné par le magistrat pour chaque affaire, la suppression de cette procédure aurait dû exercer une influence sur la façon de concevoir le jus honorarium. Logiquement, il ne devrait plus être question de droit honoraire; les règles édictales ne devraient plus valoir qu'à titre de règles coutumières. Il n'en fut pas ainsi : on continua à séparer le jus honorarium du jus civile, à maintenir des distinctions de procédure qui n'avaient d'autre raison d'être que les hasards de la formation historique du droit. Justinien lui-même ne réussit pas à opérer la fusion complète du droit civil et du droit honoraire, bien qu'il en ait eu la pensée. Si, par exemple, il consacra l'unité du droit de propriété, en supprimant l'antique distinction de la propriété quiritaire et de l'in bonis', il ne sut en faire autant en matière de succession : le régime de la bonorum possessio subsista à côté de celui de l'hérédité 10. B. Objet du « jus honorarium n. Les règles du jus honorarium s'étendent à toutes les parties du droit privé. Le plus grand nombre a trait aux actions, aux obligations, aux successions. Ce serait une erreur de croire que ces dispositions concernent uniquement les rapports des pérégrins entre eux, ou même des pérégrins avec les citoyens romains. Il en est, et de très importantes, qui s'appliquent exclusivement aux rapports des citoyens entre eux, ou qui, dans le principe, ont été faites pour eux. Comme exemple des premières, on citera les dispositions qui promettent aux liberi la bonorum possessio contra tabulas ou ab intestat". Comme exemple des secondes, on citera l'action publicienne contenant la fiction que le demandeur a acquis la propriété quiritaire par usucapion13, les actions exercitoire et institoire données en raison d'un contrat conclu par une personne placée sous la potestas de l'exercitor ou du préposant". Au temps de Labéon, on se demandait si une action de cette espèce était applicable au contrat conclu avec le préposé à Rome d'un homorprovincialis 1l. V. HoNronAilsA ACTIO.-1°•Toutes les actions, dit Ulpien, sont civiles ou honoraires''. Les actions honoraires forment une classe d'actions très nombreuses 16, et qui se distinguent des actions civiles, quant àleur établissement, quant à la forme et quant au fond. x. Les actions civiles sont données en vertu du droit civil, c'est-à-dire en vertu, soit de la loi (legitimae actiones) ", soit des sources du droit assimilées àla loi (civiles causae)'8 telles que la coutume, les sénatus-consultes, les constitutions impériales. Les actions honoraires ont un fondement tout différent : elles ont été établies par le magistrat en vertu de son pouvoir de juridiction (ex sua jurisdictione)1. La plupart ont été introduites par l'édit du préteur urbain ou du préteur pérégrin; quelques-unes par l'édit des édiles curules'. Sous l'Empire, dans les cas où le préteur a été l'exécuteur des volontés du Sénat ou de l'empereur, les actions, données en vertu d'un sénatusconsulte ou d'un rescrit impérial, sont encore des actions honoraires. Telles sont les actions utiles accordées par Antonin le Pieux à l'acheteur d'une hérédité' ou à un tuteur contre son cotuteur'. La raison de cette anomalie est manifeste : dans le premier cas, l'empereur n'aurait pu donner à l'acheteur une action directe contre les débiteurs héréditaires sans violer la règle semel heres semper heres; dans le second cas, il a voulu accorder au tuteur un recours plus efficace que celui qu'il aurait trouvé dans l'exercice d'une action nouvelle. R A l'inverse, il y a des actions civiles, et non des moins importantes, qui, dans le principe, furent des actions honoraires. Ces actions ont été, suivant l'expression de Justinien, jure civili comprobatae5. Parmi ces actions figurent celles qui, au temps de Cicéron 6, donnaient lieu à un arbitrium honorarium Telles sont les actions qui sanctionnent la vente, le louage, la société, le mandat, la tutelle, la restitution de la dot 8. A l'époque classique, il y a encore des cas où l'action prétorienne a subsisté à côté de l'action civile, en matière de dépôt et de commodat'. 2° Tandis que les actions civiles sont conçues in jus io, les actions honoraires sont pour la plupart in factum". La formule, au lieu de contenir l'affirmation d'un droit, mentionnne simplement le fait que le magistrat juge suffisant pour motiver la poursuite. Telles sont les actions de dolo, quod metus causa, de jurejurando, de pecunia constituta. Ces actions n'ont pas d'analogues dans le droit civil; ce sont des créations originales du droit prétorien. Il existe également des actions honoraires établies pour des cas analogues à ceux que prévoit le droit civil. Le préteur s'est ici contenté d'étendre la sphère d'application d'une action civile : tantôt il autorise une transposition de personnes12, tantôt il suppose chez le demandeur une qualité qui lui fait défaut, ou il accorde l'action en l'absence des circonstances de fait requises par le droit civil. Dans le premier cas, l'action honoraire est dite fictice13; elle a, comme l'action civile sur laquelle elle est modelée, une intentio in jus : telle est l'action publicienne donnée au possesseur en train d'usucaper ", l'action set.-vienne donnée au bonorum emplort', l'action furli donnée à un pérégrin1'. Dans le second cas, l'action est in factum : telle est l'action utile de la loi Aquilia ". Il est à remarquer que l'action honoraire conserve souvent le nom et produit les effets de l'action civile dont elle étend la portée. 30 Les actions honoraires sont ordinairement temporaires : le magistrat ne les accorde que pendant un certain délai. Les actions civiles sont perpétuelles. D'autre part l'action civile peut être exercée dans toute l'étendue de l'empire; l'action honoraire seulement dans le ressort du magistrat qui a publié l'Édit. Enfin l'action honoraire peut disparaître de l'édit; rien de pareil n'est à craindre pour l'action civile. Ces dernières différences ont cessé d'exister depuis que le sénatus-consulte rendu sous Hadrien a consacré la rédaction de l'Édit perpétuel et l'a imposé à tous les magistrats. résulte de la volonté de l'homme ou de l'autorité de la loi. Il n'existe pas d'obligation directement imposée par le magistrat. Mais l'intervention du magistrat peut amener indirectement la formation d'une obligation; c'est en ce sens qu'il y a des obligations honoraires18. Cette intervention peut se manifester sous deux formes: parfois le magistrat enjoint à une personne de s'engager envers une autre par une stipulation. Dans ce cas, l'obligation, qui découle de cette stipulation, est une obligation civile, sanctionnée par une action civile. II n'y a d'honoraire que la sanction donnée par le magistrat à l'injonction. Rentrent dans cette catégorie les stipula tions prétoriennes" , édilitiennes20, tribunitiennes2l. Elles servent à prévenir un dommage éventuel comme les cautiones damai in fecti 22, rem pupilli salvam fore", ou à garantir un droit comme la cautio legatorum donnée en cas de legs à terme ou conditionnel''. Le plus souvent le magistrat se borne à promettre, dans un cas déterminé, une action en justice : c'est ce qu'il fait toutes les fois qu'il s'agit de sanctionner un fait déjà accompli et non prévu par le droit civil. De l'existence d'une action, la jurisprudence a conclu à l'existence d'une obligation25. Le 'mot action est d'ailleurs pris ici dans le sens le plus large et comprend même la persecutio 20. Comme exemples d'obligations honoraires de cette espèce, on citera celles qui résultent d'un pacte tel que l'hypothèque, le constitut, le serment, ou d'un délit, comme le dol ou la violence. Les jurisconsultes classiques ne se sont pas contentés de conclure de l'existence d'une action à celle d'une obligation : ils ont attribué à cette obligation les effets ordinaires des obligations civiles. L'obligation honoraire peut être novée 27, garantie par un fidéjusseur 2â, bien que la novation et la fidéjussion exigent l'emploi d'une forme de contracter du droit civil. C'était bien reconnaître l'identité de nature de l'obligation honoraire et de l'obligation civile. VII. HUVORARIUS successou. Le jurisconsulte Ulpien parle dans divers textes d'honorarii successores qu'il distingue des legitimi successores ou heredes23. Les successeurs honoraires sont ceux à qui le préteur accorde la possession des biens d'une personne décédée 30. Au temps où vivait Ulpien, la bonorum possessio conférait une véritable vocation successorale dans tous les cas où elle était donnée cum re. Comment le préteur fut-il amené à créer un système successoral à côté de celui qui reposait sur les mores Inajorum et sur la loi des Douze Tables? Ce fut la conséquence des changements survenus dans la constitution de la famille à la fin de la République31. Le préteur voulut tenir compte des liens du sang à côté de ceux de HON 247 LION l'agnation. A défaut d'héritier testamentaire ou légitime, plutôt que de laisser les biens vacants à la merci du premier venu, le préteur prit sur lui de les attribuer aux cognats'. Pour ces cognats, dont la vocation n'avait d'autre fondement que l'édit du préteur, la bonorum possessio fut une véritable succession prétorienne. La bonorum possessio unde cognati apparaît dès la fin du vile siècle de Rome2; c'est à dater de ce moment que l'on peut parler d'un système successoral établi par le préteur. Ce système ne tarda pas à prendre un plus grand développement. Le préteur promit la bonorum possessio contre le testament, mais seulement pour moitié, au patron ou à ses descendants, lorsque l'affranchi les a omis ou les a institués héritiers pour une part inférieure, et qu'il ne laisse pas de descendants naturels ou qu'il les a justement exhérédés '. Cette bonorum possessio paraît être de la même époque que la précédente'. Au siècle d'Auguste apparaissent les bonorum possessiones contra tabulas5 et unde liberi0 données aux enfants émancipés. Puis la bonorum possessio unde vir et uxor promise au conjoint survivant à défaut d'agnats ou de cognats'. Mais ces bonorum possessiones furent d'abord données sine re8 : le préteur ne garantissait pas le successible contre l'héritier du droit civil qui était toujours maître de l'évincer; il ne le protégeait que contre les tiers qui n'avaient pas de droit à l'hérédité. C'est au II° siècle que les rescrits impériaux commencèrent à transformer la bonorum possessio sine re en bonorum possessio cum re0. Cette transformation fut achevée sous Justinien [voy. t. 1°r, p. 736]. VIII. De même qu'il y a des actions, des obligations, des successions honoraires, il existe un droit de propriété'0 des droits de servitude constitués tuitione praetoris". Mais on ne trouve dans les textes ni l'expression honorarium dominium ni celle d'honoraria servitus. IX. Dans le droit des personnes, on rencontre seulement le curator honorariiis 12. C'est le curateur nommé par le magistrat en vertu de son imperium par opposition au curator legilimus nommé en vertu de la loi des Douze Tables. ÉDOUARD CuQ.